vendredi 3 mars 2006

le Règne de Narcisse selon Mgr Anatrella

Voici un extrait d'une excellente recension du dernier livre de Mgr Tony Anatrella, Le Règne de Narcisse, ou Les enjeux du déni de la différence sexuelle, Paris, Presses de la Renaissance, 2005, 251 pages, 18€ :

« L’auteur est bien connu : prêtre et psychanalyste, il écrit depuis de nombreuses années sur l’adolescence, ce qu’il nomme « l’adulescence » ou encore la société à la fois adolescentrique et dépressive. Ce volume complète et actualise les précédents sur le même sujet ou à peu près. Il propose, une fois encore, une réflexion très détaillée sur certains maux de la société actuelle fondée sur son expérience clinique et son élaboration théorique personnelle.
L’ouvrage se caractérise sur la forme par de nombreuses répétitions qui permettent à l’auteur de marteler ses convictions dont chacun appréciera la justesse sur le fond. Les revendications de reconnaissance sociale des militants homosexuels qui cherchent à faire légaliser le « mariage » gay et, dans la foulée, l’adoption d’enfants par des couples gays ou lesbiens représentent la cible essentielle de l’ouvrage ainsi que les manipulations du langage autour du thème, et même du délit, d’homophobie.
Si l’auteur reproche aux militants homosexuels de diffuser leurs idées à la manière d’un « rouleau compresseur » (p.196), il n’est pas sûr que cet ouvrage procède autrement. Ces débats épineux manquent souvent de nuances, voire de délicatesse pour sortir des excommunications réciproques : l’ouvrage que nous venons de lire, s’il ne craint pas de se jeter avec force dans la polémique, permettra-t-il de quitter le dialogue de sourds ? En effet, on peut tout à fait s’interroger sur la pertinence éthique de l’adoption d’enfants par un couple de personnes du même sexe. Beaucoup le font, y compris parmi les personnes homosexuelles. On peut aussi se demander si l’émancipation gay n’a pas trop joué sur la monstration de comportements qui devraient rester privés (p.127). Tony Anatrella attire l’attention à juste titre sur ces deux points. Le dialogue devrait pouvoir sereinement se mettre en place, notamment autour d’eux.
La sérénité est peut-être précisément l’attitude éthique qui fait le plus défaut au débat et, de ce point de vue, il est à craindre que cet ouvrage ne permette pas d’avancer. Bien sûr, il n’y a aucune raison de douter de l’auteur lorsqu’il rappelle le respect qu’il porte (p.28) et que tout chrétien porte aux personnes homosexuelles selon l’enseignement maintes fois réitéré du Magistère. Mais on devrait pouvoir comprendre que certaines formules d’une grande maladresse d’expression ne manqueront pas d’entretenir un malaise déjà trop installé. Comment ne pas penser que ces formules finissent par toucher les personnes qui sont pourtant censées être respectées ? « L’homosexualité apparaît plutôt comme la négation de toutes les différences, à commencer par la différence sexuelle » (p. 183-184). Les personnes homosexuelles ne pouvant, selon l’auteur, avoir pleinement accès à la différence des sexes, lorsqu’elles aiment, elles aiment comme elles peuvent, dotées de moindres capacités, au rabais, en quelque sorte (p. 128). La comparaison entre les pratiques des Etats totalitaires et les demandes insistantes de certains homosexuels en faveur du « mariage » de même sexe (p.139, par exemple) ne va pas améliorer la qualité du dialogue. Même sur le fond, ceux qui ont connu l’horreur des systèmes totalitaires avec leurs cortèges d’emprisonnements, de tortures et de mises à mort planifiées, pourraient légitimement s’étonner de tels abus de langage quelles que soient les analyses que l’on fait et les positions que l’on défend. La comparaison entre le principe de précaution appliqué à des questions d’écologie et appliqué à l’homosexualité (p.228) n’est pas forcément non plus très heureuse : d’un côté des plantes, des virus ; de l’autre des personnes qui se trompent peut-être de revendications mais qui sont des personnes respectables…
En fait, le thème central de l’ouvrage portant sur le déni de la différence sexuelle est lui-même noyé sous le flot des critiques tous azimuts qui empêchent de comprendre ce dont il peut s’agir en vérité lorsque l’on veut parler de ce déni. D’ailleurs, les personnes homosexuelles sont-elles les seules concernées ? L’auteur semble répondre par la négative : les jeunes couples hétérosexuels qui ne parviennent pas à intégrer l’altérité sexuelle seraient eux-mêmes bloqués par une ambiance sociétale homophile et adolescentrique (p.163)… On ne peut à la fois soutenir que les gays ont un problème avec le sentiment psychique non travaillé, non reconnu de culpabilité, ce qui est possible, et risquer des éclaboussures de culpabilité névrotique sur n’importe quel homosexuel qui lira ces pages : il va se sentir tout à coup nettement culpabilisé, mais pour son bien, dira-t-on ? (Cf. p.187-188).
L’invocation du DSM-IV (p.76) fera sans doute sourire les psychanalystes méfiants envers ce dictionnaire de classification psychiatrique, pratique sous certains aspects, mais tout de même assez caricatural.
En outre, le besoin de reconnaissance, ou disons d’acceptation, de la personne homosexuelle vis-à-vis de son milieu – familial, professionnel, etc. – est trop rapidement confondu avec la revendication militante de quelques homosexuels. Il est difficile de nier ou de dénier que le rejet dont, en effet, certains homosexuels, sont l’objet ne renforce pas leur souffrance. Ce n’est pas seulement une question de lobbying déplacé. On l’a vu dans le cas de la pandémie VIH, surtout à ses débuts. Les décrire comme des victimes qui cherchent désespérément à faire reconnaître leurs droits, c’est encore les enfermer dans un mécanisme dont il faudrait bien les faire sortir : ces victimes-là ont décidément tort sur tous les plans ! En ce sens, que l’ « homophobie » soit purement et simplement une manipulation du langage est une affirmation bien téméraire et sûre d’elle-même, quand on regarde notre environnement, même sans le grossissement médiatico-politique. La prudence s’impose pour analyser loin des déformations et des pré-compréhensions de chacun.
En fait, qui culpabilise qui, le plus ? Qui est le grand méchant loup ? Qui amalgame (p. 234) le plus ? On voit la stérilité du débat. (…) »


Source : cette recension a été écrite par un frère dominicain dans une revue... dominicaine (n° de mars 2006).