mercredi 9 décembre 2009

Dépénalisation de l'homosexualité

Lu dans la Revue d'éthique et de théologie morale de mars 2009 :

"La France et le Vatican ont connu récemment un heurt diplomatique qui assombrit un peu le ciel sans nuages des relations entre les deux Etats depuis l’élection sur le Siège de Pierre du cardinal Joseph Ratzinger et celle de Nicolas Sarkozy à la tête d’une Ve République, pas moins semper reformanda que ne l’est l’Église. La laïcité positive apparaît comme le nouvel emblème de cette République, le nouveau slogan en voie de dogmatisation, peut-être, destiné à bousculer les vieux clivages de la société française depuis la séparation de 1905.

C’est la proposition française, faite à l’ONU par Rama Yade, de dépénalisation de l’homosexualité qui a jeté le trouble et déclenché la réaction défavorable du Vatican, qui y voit un cheval de Troie : dépénaliser l’homosexualité ouvre la porte ipso facto à l’application tant redoutée des thèses gender, à savoir, en l’occurrence, le mariage homosexuel et l’adoption d’enfants par des couples de même sexe. La laïcité positive se gripperait-elle pour la première fois, au point, si besoin, de se désolidariser de la secrétaire d’État chargée de ladite proposition ?

Cette scène éthique est suffisamment intéressante pour que nous tentions de l’objectiver au mieux, tant le débat peut être passionné sur de tels sujets.

De nombreuses théories éthiques, pas vraiment compatibles les unes avec les autres, peuvent permettre d’évaluer le conflit autour de la proposition de loi française. Un peu comme Monsieur Jourdain, il n’est pas impossible que, dans nos raisonnements, de part et d’autre, nous empruntions sans le savoir à des systèmes éthiques variés, voire contradictoires. Qu’est-ce qui meut, in fine, la décision de soutenir ou non la proposition française ?

Du côté de Rome, on comprend très bien la crainte d’ouvrir par cette loi la boîte de Pandore rendant à peu près tout possible : une proposition de loi légitime, parce qu’elle vise à dépénaliser l’homosexualité, peut inclure, dans une logique argumentative du tout ou rien, d’autres questions d’éthique familiale – homoparentalité – que l’on est forcé d’accepter en votant la loi au risque, si on ne le fait pas, de passer pour totalement rétrograde.

Pourtant, décider de tout bloquer, sans rompre radicalement avec des idéologies totalitaires ou en lien avec quelques États musulmans extrémistes, c’est maintenir, de fait, nombre d’injustices et de discriminations envers les personnes homosexuelles humiliées, injuriées, punies jusqu’à la peine de mort. Le Catéchisme de l’Église catholique, portant l’enseignement du Magistère sur cette question, ne permet pas que de tels actes soient justifiés en aucune manière. Le Vatican vient de le rappeler dans le même temps qu’il choisit de bloquer la proposition de loi française, ce qui n’est pas sans risque au titre même du Catéchisme de l’Église catholique, qu’il ne faudrait pas relativiser. Tels sont, à peu près, sans trop forcer le trait, les termes du débat.

Du coup, l’issue éthique que nous formulons, à titre de piste de recherche, ne serait-elle pas la contre-proposition suivante : le Vatican proposerait lui-même à l’ONU, sur la base des convictions éthiques qui l’animent, la dépénalisation générale de l’homosexualité dans un texte simple et clair qui ne ferait pas droit dans sa rédaction au tout ou rien. Cette façon de faire aurait, sans doute, un impact de crédibilité majeur sur les consciences des hommes et des femmes de bonne volonté. Elle permettrait aussi, dans la pleine fidélité à l’enseignement de l’Église sur l’égale dignité des personnes sauvées par le Christ et, plus particulièrement, sur l’égale dignité des baptisés, de sortir des oppositions binaires hyper-réductrices exploitées par les media : pour ou contre la dépénalisation.

Le crédibilité : mieux vaut ne pas trop la sous-estimer en ces temps médiatiques !Le pape Jean-Paul II avait le don de définir lui-même pour les média l’heure où il leur fallait communiquer sur ce que vivait l’Église. Nous ne pouvons pas, à présent, nous en défier à ce point !

Si l’Église est crédible du côté du respecte de la personne homosexuelle, elle le sera aussi du côté de la reconnaissance des infamies de la Shoah. Historiquement, ces deux questions étaient quasiment ramenées à une seule par les bourreaux nazis, la haine de l’étranger, du « Unheimlich » !

De nos jours, c’est ainsi : la forme fait le fond. on peut et on doit le regretter. mais on ne saurait l’ignorer. En d’autres termes, ne pas de défier de la crédibilité pour libérer la foi est l’urgence éthique de nos Églises."

(Revue d'éthique et de théologie morale, Cerf, mars 2009, n° 253, pp. 5-6).